Choisir ses études

N° 97, décembre 2024
Coordination : Thierry Chevaillier
La question de l’orientation est un sujet majeur dans un grand nombre de pays. Depuis 20 ans, les systèmes éducatifs et les mentalités ont changé. Une logique des choix scolaires individuels s'est développée mais elle reste contrainte par la nécessité d'arbitrer entre la liberté de l'individu et les intérêts exprimés par la collectivité.
Dans un monde où les parcours de formation s'allongent et se diversifient, à quel moment sont faits les choix qui orientent l’avenir professionnel des jeunes ? Et qui participe à ces choix ? Observe-t-on des changements dans l'attitude et dans les pratiques des jeunes et des parents vis à vis de ces choix ?
Pour répondre à ces questions, ce nouveau dossier de la Revue internationale d’éducation de Sèvres examine, dans dix pays très différents les uns des autres, le rôle que jouent les familles, les enseignants, les conseillers d’orientation et l’administration scolaire dans un contexte parfois complexe.
Les pouvoirs publics sont eux aussi amenés à faire des choix soumis à de multiples contraintes. De plus, on assiste, presque partout, au développement rapide d'entreprises privées qui tirent parti de la complexité de l'orientation ou des insuffisances de l'aide existante pour offrir aux élèves et à leurs familles des conseils aux étapes cruciales de la scolarité.
Phénomène nouveau, la question de l’information sur les choix possibles, tantôt surabondante, tantôt insuffisante, est ainsi présente dans tous les articles. Cette évolution entraîne des discriminations que les pouvoirs publics, dans la plupart des cas, s'efforcent de limiter. Elle montre l’importance d’une éducation à l’orientation.
Un dossier coordonné par Thierry Chevaillier, professeur émérite, Université de Bourgogne/IREDU
Pays étudiés : Algérie, Allemagne, Australie, Burundi, Chine, Dubaï, Espagne, Estonie, France, Uruguay, et bibliographie.
ISBN : 978-2-85420-640-1
Pour commander ce numéro
Sommaire
Actualité internationale
Actualité documentaire
Hélène Beaucher et Marion Latour
Ressources en ligne
Sophie Condat
L’éducation en situation d’urgence
Le point sur l’actualité internationale en éducation
Maroussia Raveaud
L’inspection en Angleterre : les méthodes de l’Ofsted remises en cause
Bernadette Plumelle
Pisa et la pensée créative
Luis Galindo et Laëtitia Pierrot
Que peut l’intelligence artificielle dans une collaboration humain-machine en éducation ?
Repères sur les systèmes éducatifs
Jean-Pierre Véran
Au Mozambique, un système éducatif entre progrès et défis multiples
Marianna Harutyunyan et Artashes Torosyan
Le système scolaire arménien à la croisée des chemins : repères, défis et perspectives
Notes de lecture
Gabriela Scripnic
The International Bureau of Education (1925-1968): “The Ascent From the Individual to the Universal”, Rita Hofstetter et Bernard Schneuwly, Palgrave Macmillan, 2024
Séverine Parayre
Coenseignement, Philippe Tremblay, Academia, 2024
Yannick Tenne
Pensées sur l’éducation, Alain Bouvier, Éditions du Panthéon, 2024
Jean-Marie De Ketele
L’étrange affaire des mal-savoirs. Confessions à qui voudra,
Roger-François Gauthier, Librinova, 2024
Jean-Pierre Véran
Notre école. Appel à ceux qui lui manquent. À la rencontre des familles gitanes,
Frédéric Miquel, Champ social, 2024
Dossier
Choisir ses études
Coordination : Thierry Chevaillier
Introduction
Portée et limites de la liberté de choix en éducation
Thierry Chevaillier
Les progrès de la scolarisation dans le monde se sont accompagnés d’une multiplication et d’une diversification des formations offertes par les systèmes éducatifs, afin, en particulier, de mieux préparer les jeunes à des métiers plus qualifiés et plus évolutifs. Les jeunes et leurs parents ont demandé et obtenu une plus grande liberté de choisir leurs parcours scolaires, ce qui a contribué à augmenter les risques de discrimination sociale et de déséquilibres dans le fonctionnement de l’école. Pour tenter de réduire ces risques, on a accru la flexibilité des parcours menant à l’emploi, rendant ainsi plus complexe l’orientation scolaire. Ce dossier présente dix études sur les cas de : Dubaï, l’Espagne, la Chine, le Burundi, l’Australie, l’Algérie, l’Estonie, l’Allemagne, l’Uruguay et la France.
Les choix scolaires à Dubaï : le mirage de la liberté totale
Aziza Almokaddam-Dalil
Dans une perspective d’exploration des choix scolaires en contexte de quasi-marché, l’article décrit la singularité du système d’enseignement dubaïote et examine l’exercice et la perception du libre choix des familles en son sein. Certains traits distinctifs du paysage éducatif local, caractérisé par la prédominance du secteur privé, une gamme étoffée d’options et une faible régulation institutionnelle, offrent a priori un terrain propice à la satisfaction des aspirations parentales. Un examen approfondi du processus de choix effectif révèle toutefois la dualité du système ainsi que l’existence de contraintes définissant un espace des possibles à géométrie variable.
Choix des études et abandon scolaire précoce dans l’enseignement secondaire espagnol
Magdalena Jiménez Ramírez et Juan Carlos González Faraco
Les données montrent régulièrement que les taux espagnols d’abandon scolaire précoce et de chômage des jeunes restent, malgré des améliorations récentes, les plus élevés d’Europe. Une part importante de ce problème trouve son origine dans l’enseignement secondaire et, en particulier, dans ses transitions. Cet article analyse cette situation et ses conséquences sur les trajectoires de vie des étudiants. Il étudie également les actions que l’on souhaite mettre en œuvre pour atténuer ces problèmes, notamment : la promotion de la formation professionnelle duale, la diversification et la flexibilisation des itinéraires de formation, et le développement de l’orientation scolaire et familiale, en ce qui concerne le choix des études pendant et à la fin de l’enseignement secondaire obligatoire.
Football des jeunes, mobilité ascendante et stratégies parentales en Chine
DONG Hui, LI Yutong et PENG Xiaoqian
En Chine, l’expansion du système de formation des jeunes au football a établi un mécanisme de progression pour les apprentis footballeurs, tout en façonnant un nouveau paysage en matière de pratique du football, de choix d’école et de planification éducative à long terme. Cet article révèle qu’à l’évidence, l’initiative venue d’en haut est une entreprise politique et sociale aux bénéfices éducatifs complexes et avec des conséquences sociales sur les parents de différents milieux et leur progéniture. Le contexte éducatif chinois, marqué par une forte compétition, transforme la pratique du football des jeunes en monnaie d’échange pour les catégories sociales favorisées, désireuses de s’assurer des opportunités éducatives prestigieuses, et en bouée de secours pour les groupes marginalisés en quête de voies d’accès élémentaires à l’éducation dans les métropoles. La recherche d’un véritable équilibre entre les objectifs nationaux et les aspirations de la population demeure un problème de taille qui requiert davantage d’innovations systématiques en matière de gouvernance.
Orientation et épanouissement de l’étudiant dans l’enseignement supérieur burundais
Janvier Nizigiyimana, Révérien Nshimirimana et Innocent Ntwari
L’orientation des étudiants à l’Université du Burundi est gérée par une commission d’orientation nommée par le recteur. Elle est censée tenir compte du choix personnel de la filière par l’étudiant, ainsi que de la capacité d’accueil et d’encadrement par l’institution. L’article traite du rapprochement entre l’orientation de l’étudiant (volontaire ou non) et son épanouissement à l’Institut d’éducation physique et des sports. La majorité des étudiants de première année y sont orientés contre leur volonté. Des entretiens et une enquête par questionnaire montrent que le niveau de satisfaction dans les apprentissages et le sentiment d’épanouissement sont statistiquement liés au fait d’avoir choisi personnellement l’Institut ou non, tout comme la facilité d’adaptation de l’étudiant. Cependant, les étudiants s’adaptent facilement, même s’ils n’ont pas choisi ce cursus.
Les choix scolaires en Australie
Laura B. Perry
L’Australie offre de nombreuses possibilités d’exercer des choix scolaires. Elles concernent principalement le choix d’une école par les familles et le choix d’une filière d’études dans l’enseignement secondaire. Ces choix ne sont généralement pas directement restreints ni régulés par les autorités éducatives, les établissements ou les enseignants. Au contraire, ils relèvent principalement des familles et des élèves. Les autorités éducatives et les établissements scolaires jouent cependant un rôle indirect en façonnant les choix qui s’offrent aux élèves, principalement par le biais de mécanismes de financement qui conduisent à un système scolaire stratifié et ségrégué limitant le choix scolaire pour les familles disposant de ressources limitées.
Les choix scolaires en Algérie, entre vœux individuels et contraintes institutionnelles
Rosa Mahdjoub et Mohamed Miliani
En matière d’orientation, le système éducatif algérien peine à satisfaire les aspirations personnelles des douze millions de jeunes qui y sont scolarisés. Les contraintes imposées par les différentes institutions éducatives sont multiples et s’additionnent, entre critères d’admission difficilement atteignables, capacités d’accueil sousdimensionnées et inégalement réparties sur le territoire, orientations obligatoires et politiques de sectorisation (quotas) drastiques. L’orientation scolaire et universitaire est plus influencée par les notes obtenues aux différents examens décisifs que par les vœux et les aspirations des élèves. Des entretiens menés par les auteurs révèlent que la liberté de choix des jeunes n’est bien souvent pas prise en compte, ce qui pousse les futurs étudiants à développer des stratégies personnelles pour circuler dans un système aux méthodes d’orientation parfois peu lisibles.
Un conflit structurel entre voie académique et voie professionnelle : le cas de l’Estonie
Krista Loogma
Avec sa réforme de l’éducation de 1991, l’Estonie se dote d’un système scolaire global visant à offrir à tous les élèves la meilleure éducation possible, dans un système éducatif désormais acquis aux principes néolibéraux et devenu assez sélectif. La plupart des choix décisifs des élèves pour la suite de leur parcours scolaire et professionnel sont faits à l’issue de la scolarité obligatoire. L’article analyse les causes et conséquences d’un conflit structurel entre la voie académique et la voie professionnelle, qui persiste malgré la mise en place d’une politique visant à favoriser la mobilité entre ces deux voies dans le cadre d’une éducation tout au long de la vie.
Le difficile chemin vers l’égalité des chances dans le choix des études en Allemagne
Werner Zettelmeier
Cet article aborde un aspect essentiel de l’égalité des chances dans l’accès à l’éducation en Allemagne, à savoir le choix du parcours dans un enseignement secondaire différencié et hiérarchisé entre plusieurs filières de durée et à contenus pédagogiques différents. Ce choix fortement déterminé par le milieu social de l’élève est fait à la sortie de l’école élémentaire de quatre ans. Les pouvoirs publics ouest-allemands ont mis progressivement en place depuis les années 1970 un dispositif de conseil en orientation dont l’enseignant conseiller, présent dans chaque établissement scolaire, est le maître d’œuvre. L’article analyse en deuxième partie les missions de ces enseignants sous forme d’une étude de cas du Land de Bavière.
Un regard sur les facteurs qui influencent les choix éducatifs des adolescents en Uruguay
Nilia Viscardi Etchart
En Uruguay, à la fin de la quatrième année de l’enseignement secondaire, les élèves doivent définir leur parcours scolaire ultérieur en choisissant des options spécifiques. L’article s’intéresse aux facteurs qui influencent les choix éducatifs des adolescents et le contexte de leurs parcours éducatifs au moment où ce choix doit être fait, c’est-à-dire à l’âge de 15 ans. L’analyse porte sur l’orientation professionnelle proposée dans le cadre des programmes éducatifs ; le rôle des acteurs pédagogiques et des psychologues dans les lycées ; le poids de la famille. Si, ces dernières années, un plus grand nombre de jeunes issus de familles à faibles revenus parviennent à réussir dans le système éducatif, des inégalités persistent et se reproduisent au niveau de l’enseignement secondaire au moment du choix de formation.
L’orientation en France : entre projet et sélection
Marie Duru-Bellat
Alors que la transmission directe d’une profession des parents aux enfants est aujourd’hui disqualifiée en France comme dans la plupart des pays comparables, la question de l’orientation des jeunes vers un métier y revêt une importance cruciale. Censée se jouer sur la base du mérite scolaire, elle donne aux scolarités un poids décisif. Depuis les années 1960, les politiques ont ouvert l’accès à l’éducation et cherché à rendre les cursus moins dépendants de l’origine sociale des élèves. Mais, au-delà des inégalités de réussite, les mobilisations des parents pour maximiser les chances de leur enfant font que les orientations restent davantage liées à leur connaissance fine d’un système qui s’est largement complexifié. Les « choix » des jeunes dépendent d’une autosélection socialement diversifiée, intégrant des contraintes inégales (risques d’échec plus ou moins forts, poids de l’origine géographiques ou des stéréotypes de genre…), selon une logique bien plus scolaire que professionnelle. Tant que les carrières scolaires restent marquées par le milieu social et que les jeunes et leur famille anticipent des professions inégalement désirables, les orientations ne sauraient être le reflet ni du mérite ni des projets des élèves.
Références bibliographiques du dossier « Choisir ses études »
Hélène Beaucher et Anna Polewka